13 Mai #2 – Les mutations urbaines, opportunité d’accès à la « résilience »
Les mutations urbaines, opportunité d’accès à la « résilience »
Quelle que soit son échelle, tout projet urbain de requalification des lieux de vie suppose de prendre en considération les mécanismes psychologiques individuels et collectifs en jeu, pour poser les bases d’un projet « urbain » avant tout « Humain ».
S’il est acquis que le milieu urbain impacte quotidiennement la qualité de vie et la santé mentale des habitant∙es, cela est d’autant plus vrai lorsque ces lieux de vie sont au cœur d’importantes mutations.
Tout projet urbain engageant un processus de recomposition de la trame urbaine d’un quartier induit, pour chaque habitant∙e, une phase de deuil, d’adaptation aux changements et de recours à ses ressources intrinsèques. Il s’agit d’une épreuve difficile, vécue différemment par chacun∙e, et qui demande du temps et de l’écoute.
Par ailleurs, un environnement renouvelé peut tout autant emmener à des formes d’exclusion sociale qu’être une opportunité de régénération d’une bonne santé mentale, qu’il est important d’appréhender et d’accompagner.
À ce titre, le crédo de la « psychologie urbaine » rejoint la thématique de la « résilience », magistralement développée par le neuropsychiatre, éthologue et psychanalyste Boris Cyrulnik. Tout particulièrement lorsque ce dernier loue « l’acte de parole » dans la maîtrise des émotions.
C’est précisément ce à quoi s’attachent les psychologues urbain∙es à chaque étape d’un projet de requalification urbaine : donner la possibilité de libérer la parole, de donner du sens, de donner voix au chapitre, d’élever le niveau de maîtrise de chaque individu volontaire.
En parallèle, leurs méthodologies permettent de penser les ressources dont l’environnement immédiat de demain devra disposer pour favoriser l’adaptation et la santé mentale des usager∙ères. Il s’agit de favoriser leur résilience psychologique.
En psychologie, la résilience renvoie à l’aptitude à surmonter des évènements douloureux, voire traumatiques et, ensuite, à enclencher une dynamique positive, construire une existence satisfaisante. Pour cela, les individus peuvent disposer de facteurs de protection, qui peuvent être d’ordre affectif, cognitif et/ou conatif.
Les facteurs de protection sont l’ensemble des éléments qui permettent aux individus de surmonter des « crises », par définition passagères. Ils peuvent être très divers : l’estime de soi, le soutien social, l’occasion de représenter des rôles, le sentiment d’auto-efficacité, la présence de confident∙es, le soutien concret, la spiritualité, la capacité (et la possibilité) de demander de l’aide, l’autonomie ou encore la participation sociale.
Tous les individus n’ont pas les mêmes facteurs de protection en raison de leur personnalité, de leur histoire personnelle, de leur structure mentale, de leurs ressources socioéconomiques. Aussi, toute transformation du paysage urbain, en modifiant les structures organisationnelles quotidiennes, peut affaiblir certains facteurs de protection, aggraver certaines vulnérabilités. Ceci est d’autant plus vrai, chez les individus déjà vulnérables économiquement et socialement, leurs ressources et leurs supports de soutien étant déjà présents en plus faible quantité. Le fait de disposer de moins de facteurs de protection mène logiquement à de plus grandes difficultés d’adaptation aux changements, et donc, aux transformations urbaines.
L’accès à la résilience passe par un processus d’interactions sociales. À ce titre, l’intervention des psychologues urbain∙es permet – préalablement à toute action opérationnelle et tout au long du projet – d’instaurer une écoute mutuelle dans le cadre d’une démarche structurée. Cette dernière permet d’appréhender et de penser l’accompagnement du changement et l’adaptation au cadre de vie des individus dans leur quotidien, tant au niveau de leur sphère privée, que de leur environnement collectif.
En plus de méthodes dites « empiriques », la psychologie urbaine peut s’appuyer sur des concepts urbanistiques tels que « l’habitabilité » ou encore sur la notion de « safe space » (Helleman, 2018).
L’habitabilité (livability) renvoie à tout ce qui rend un espace habitable, le rendant ainsi plus agréable à utiliser : certaines aménités rendent ainsi les espaces plus confortables à utiliser et vont permettre à tous∙tes de les utiliser.
Il s’agit d’une part d’initier des rites urbains autour d’espaces, de services, d’équipements de proximité et d’autre part de qualifier, d’entretenir des usages du quotidien, de concevoir des espaces publics pour chacun et pour chacune, multigénérationnels (assises, toilettes, lieux pour se désaltérer, éclairage, protections etc.) et accessibles à tous∙tes.
La notion de « safe space » renvoie quant à elle à un sentiment de sécurité dans l’espace. Ce sentiment de sécurité, ou d’insécurité, notamment émotionnel, est un ressenti, souvent déconnecté du risque réel, mesuré dans un lieu (indicateurs statistiques de risques). C’est néanmoins ce ressenti, « le sentiment de sécurité sociale » qui influe sur l’envie de pratiquer certains espaces et sur le plaisir ressenti dans ces espaces. La (re)configuration des espaces peut être un moyen d’agir sur cette perception et être l’occasion de développer des espaces « safe émotionnellement ».
C’est en tout cela que les psychologues urbain∙es doivent participer à la fabrique de villes et s’instaurer garant∙es des ressources pour une bonne santé mentale ; garant∙es d’un accès à la résilience, individuelle et collective.
Dans la prochaine chronique, nous verrons que les liens sociaux peuvent jouer un rôle essentiel dans la résilience des individus vivant en ville, notamment au travers de la théorie de l’identité sociale.
Sorry, the comment form is closed at this time.