10 Juin #4 – Lien social, santé psychologique et longévité
Lien social, santé psychologique et longévité
La crise sanitaire que nous traversons met en exergue un nouveau paradoxe : dans de nombreux cas cliniques, l’isolement forcé se révèle avoir plus d’impact sur la santé psychique et physique des individus que la promiscuité subie.
Sans en relativiser la réalité, nombre de contributions ont abordé les conséquences sociales et psychosociales du confinement sous l’angle de la maltraitance, des violences conjugales, de la sursollicitation cognitive, du sentiment de claustrophobie ; notamment au sein des ménages dits « nombreux ».
Cependant, aucune donnée statistique ne pourra établir l’impact humain et sanitaire résultant de l’isolement total et prolongé de nombre de personnes, tous âges confondus, que ce soient en termes de troubles cognitifs, troubles obsessionnels, décompensation psychotique, dépression, anxiété etc.
En effet, bien que la surdensité au sein de logements a pu se révéler pénible voire traumatisante dans nombres de situations, se sentir soudé, regroupé dans la difficulté et dans la peur, a été majoritairement vécu comme sécurisant : l’appartenance à une famille, à un collectif social, à une communauté spatiale est facteur de soutien considérable ayant des répercussions directes sur la santé et sur la longévité des individus.
Ce constat est corroboré par les études de Juliane Holt-Lunstad (Professeure en psychologie et neuroscience à l’Université Brigham Young) qui insiste sur les impacts mortifères de la solitude et sur l’importance du contact humain en face à face lequel libère toute une cascade de neurotransmetteurs qui favorisent la confiance, réduisent le stress, tempèrent la charge mentale, tuent la douleur et provoquent le plaisir.
Ces effets physiologiques scientifiquement observés se révèlent être la raison pour laquelle les taux de démence sont les plus bas parmi les personnes socialement engagées.
Juliane Holt-Lunstad constate en effet que le fait d’avoir au moins trois relations « étroites » ainsi qu’une « intégration sociale quotidienne importante » apparaît comme facteurs majeurs de longévité.
Cette étude longitudinale a été menée sur plusieurs milliers de personnes résidant aux États-Unis et ces facteurs de protections arrivent en tête, devant : le régime alimentaire, l’activité physique, l’état matrimonial, les consultations régulières chez le médecin, la consommation de tabac et la consommation d’alcool.
Ainsi, alors qu’établir un contact visuel avec une autre personne est suffisant pour libérer l’ocytocine, abaisser le taux de cortisol et générer de la dopamine ; la solitude, l’isolement, l’éloignement affectif, la « distanciation physique », la diminution des contacts humains régénérants affectent gravement notre santé psychologique.
Susan Pinker, psychologue clinicienne, s’est questionnée sur le nombre important de personnes centenaires en Sardaigne et sur l’espérance de vie largement supérieure là-bas en comparaison avec celle du reste de l’Italie ou d’Amérique du Nord.
Susan Pinker a alors pu remarquer que les liens de sociabilité étaient particulièrement nombreux sur l’île italienne, liant ceci avec la conception même des villes comme celle de Villagrande, développées sur des bases de « défense et de cohésion sociale » : villes aux maisons faiblement espacées, aux rues et allées fortement imbriquées où les vies s’entrecroisent constamment et où les liens de voisinage sont constants.
Au concept usité de « vivre ensemble », préférons le terme de « convivance », permettant de réfléchir à comment promouvoir la qualité de vie urbaine en ce sens. Pour cela, il est nécessaire d’analyser pour mieux comprendre, pallier aux facteurs de risques, permettre l’épanouissement des habitants et promouvoir les conditions qui leur permettent de cohabiter harmonieusement dans un même lieu.
Les psychologues urbain∙es observent, écoutent et questionnent les conséquences de la crise sanitaire sur la santé mentale. Cette première phase d’analyse leur permet alors de cibler pour mieux mesurer, évaluer, prioriser les facteurs psychosociaux (facteurs de risques et facteurs de protection). Ce temps d’étude sera déterminant pour agir juste, conseiller et travailler directement avec les populations, parce que pouvoir agir sur son propre environnement crée un sentiment d’enpowerment et une amélioration de l’estime de soi.
Outre l’agencement des espaces, il y a une multitude d’éléments de l’ordre du sensible et du spontané qui peuvent interagir avec le bien-être et le lien social en ville.
Nous pensons notamment aux rites urbains, ces petites habitudes qui façonnent notre utilisation quotidienne de l’environnement immédiat, les parcours, les petites occupations qui prennent place dans un quotidien pour devenir réguliers, rassurants et jouer un rôle dans notre attachement au lieu : les cheminements que l’on a l’habitude de suivre, le banc où l’on a l’habitude de s’arrêter, le petit commerce que l’on préfère à un autre, le square par lequel on fait régulièrement un détour, le café où l’on se sent reconnu, voire attendu, etc.
Vivre dans le même espace résidentiel crée chez les individus des habitudes, des rythmes, des usages, des référentiels communs. Ces manières d’habiter se tissent et se développent au sein d’un même environnement jusqu’à former une « culture urbaine » commune aux résident∙es et usager∙ères d’un quartier.
Ces opportunités de se croiser régulièrement donc de se protéger mentalement et physiquement sont des facteurs de protection du quotidien qu’il est primordial de relever, préserver et comprendre – en plus de nombreux autres – pour aider les habitants à faire face aux facteurs plus « irritants » du quotidien, voire aux facteurs de stress, toujours plus nombreux en milieux urbains.
Comment inciter chacun∙e à profiter de la « liberté urbaine », celle qui passe par le bien-être social et spatial. Protéger cette liberté, contribuer à sa mise en œuvre, la mesurer objectivement est la vocation première de la psychologie urbaine.
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