19 Déc La psychologie urbaine : l’atout stratégique pour l’acceptabilité des projets (Entretien avec Barbara Attia)

Dans un contexte où les projets d’aménagement font face à des défis d’acceptabilité croissants, une nouvelle discipline émerge pour apaiser les tensions : la psychologie urbaine. Barbara Attia, fondatrice du cabinet Hurba, nous explique comment l’écoute active et la médiation citoyenne deviennent des leviers indispensables pour les promoteurs et les élus. Une interview passionnante sur la fabrique de la ville humaine, initialement publiée dans La Lettre M (décembre 2025).
Grand témoin : BARBARA ATTIA
« Être à l’écoute des besoins et des attentes des citoyens »
Barbara Attia est la fondatrice d’Hurba, premier cabinet français de psychologie urbaine, qui intervient dans tout le pays. Elle conseille les acteurs publics et privés sur les enjeux humains de l’aménagement urbain pour en faciliter l’acceptabilité.
PROPOS RECUEILLIS PAR VÉRONIQUE COLL pour la Lettre M
Qu’est-ce que la psychologie urbaine ?
En tant qu’ancienne psychologue du travail formée pour intervenir auprès des entreprises en mutation, mais également fille et petite-fille d’architectes-urbanistes, j’ai réalisé qu’il y avait des analogies entre l’univers de l’entreprise et celui de l’immobilier et de l’aménagement urbain. La psychologie urbaine est une discipline récente ; j’ai transposé les méthodologies humaine et sociale de la psychologie du travail et des organisations à la ville et à ses enjeux politiques. Tout comme le management cherche à embarquer le corps social au changement, la transformation d’un quartier ne peut se faire sans l’adhésion des riverains. Petite sœur de la psychologie environnementale, la psychologie urbaine traduit les interrelations entre l’homme, son environnement et la société. Mon champ d’action s’applique à l’échelle urbaine comme rurale, même si le quartier reste l’échelle la plus appropriée. La psychologie urbaine constitue ainsi une brique supplémentaire dans l’action de médiation de projets urbains en intervenant en amont, dès la programmation et les premières esquisses, afin d’éviter les conflits et autres recours possibles. Un atout précieux pour nos clients, qui sont à 90 % des promoteurs.
Encore peu répandue, en quoi votre activité est-elle utile ?
En effet, je suis l’unique cabinet en France spécialisé dans ce domaine. J’ai co-construit une méthodologie pour faire éclore cette profession après dix années d’expérience de terrain. Étant toujours plus sollicitée par les acteurs de la vie urbaine, je me suis rapprochée de médiateurs de projets urbains et j’ai créé une fédération des acteurs de la concertation citoyenne (voir ci-dessous), qui est aujourd’hui constituée d’un pôle d’une trentaine de médiateurs actifs dans toutes les régions, dont l’Occitanie. Ces médiateurs référencés s’engagent à respecter une éthique, une déontologie, une neutralité au travers d’une posture dépassionnée et apolitique dans leur démarche de concertation citoyenne, même s’ils sont intégrés à l’équipe projet. Je rencontre prochainement, par exemple, le cabinet Acceptables Avenirs afin d’étendre ce réseau en Haute-Garonne et je conduis un dialogue avec la Fédération des promoteurs immobiliers.
Quels ressorts de la psychologie s’appliquent à l’acte d’aménager et de construire ?
Selon moi, même si elle est chronophage, l’écoute est primordiale. Il faut également faire preuve d’empathie car un riverain peut être pris de panique à la seule lecture d’un plan de masse. Il faut appréhender cet aspect émotionnel car un nouveau projet d’aménagement ou immobilier vient impacter le quotidien des riverains et/ou leurs aspirations. Il faut reformuler et expliquer, puis analyser et synthétiser le projet d’aménagement, de réhabilitation totale ou partielle en site occupé ou pas… L’habitant doit se sentir écouté et considéré, certainement pas être mis devant le fait accompli lors d’une réunion publique.
Un quartier, une ville, un territoire, ne peuvent plus, selon vous, être seulement pensés par les décideurs publics et les professionnels de l’acte d’aménager ?
Alors que la conjoncture immobilière n’est pas simple, les maîtres d’ouvrage sont confrontés à une nouvelle génération d’habitants citoyens en quête de mieux-être urbain. Ces derniers recherchent un lieu et un cadre de vie. Ils sont prêts à s’investir pourvu qu’ils contribuent à leur environnement immédiat. Les professionnels du secteur comme les élus sont de plus en plus à l’écoute des besoins et des attentes des citoyens. Si pour les uns, il s’agit d’éviter les recours, pour les autres, il s’agit de maintenir un climat paisible dans leur commune, sinon le permis n’est pas signé ! Un quartier, c’est d’abord une âme, une identité, des usages, des rituels… Un nouveau projet ne doit pas obérer l’existant ni créer de vulnérabilité des équilibres visuels par rapport au projet d’ensemble.
Quel est le bon timing pour intervenir ?
Il faut intervenir en amont mais pas trop, car l’implication citoyenne disparaît. Tout l’enjeu de la psychologie urbaine est là ! La médiation citoyenne doit intervenir avant tout dépôt du permis d’aménager ou de construire. Il faut au moins trois mois d’observation pour faire remonter le périmètre d’impact du projet, rencontrer les associations du quartier sur la base du volontariat et expliquer ce qui va se construire à partir de planches en montrant que le projet en est au stade de la faisabilité et qu’il peut être amendé. Durant cette phase, nous allons identifier les atouts et les faiblesses du projet, comprendre les réactions possibles, cerner les principales inquiétudes, ainsi que les riverains dont il faudra tenir compte. Avec ce retour, l’équipe projet peut retravailler le projet. D’autres acteurs, comme le groupe montpelliérain GGL, choisissent de faire appel à Hurba avant même d’aller soumettre leur projet aux élus. Avant d’esquisser leur copie pour le concours dont il a été lauréat, le groupe GGL a préféré penser sa copie en fonction de ce qui se passait dans l’environnement du projet. Il est clair que les échanges avec les élus comme avec les riverains sont facilités et que les discussions ne se finissent pas le pied dans la porte !
Comment les habitants peuvent-ils prendre leur part ?
Si les associations de quartier constituent un premier niveau d’information, nous recueillons énormément de data grâce aux réseaux sociaux en interpellant cette génération de citoyens qui a envie de parler via la passation de notre Observatoire santé et qualité de Vie urbaine. Par exemple, Facebook nous aide à obtenir de la data récente et qualifiée. Cette approche ne force pas la main car elle fonctionne toute l’année sur la base du volontariat. Nous appliquons la méthode des quotas. Ces données statistiques sous couvert d’anonymat sont analysées par notre docteur en biostatistique.
On est ici au cœur de la démocratie participative…
Dans la vie d’une commune, il revient à l’élu d’éveiller la conscience des citoyens par rapport à un projet. Tout dépend de l’élu. Le premier client d’Hurba a été un maire médecin généraliste, en contact régulier avec ses administrés, qui a intégré comme une évidence l’exigence d’un « diagnostic » avant toute réflexion d’aménagement de sa commune. Aussi, une démocratie participative qui vise à impliquer davantage les citoyens dans le processus décisionnel va dépasser les échéances politiques de l’élu. Quel que soit le format, un projet impactera forcément le cadre de vie des administrés. Les réunions publiques sont là pour informer. Il faut toutefois que les citoyens qui ont fait l’effort d’y participer soient destinataires d’une information qui retranscrive les échanges afin de faire avancer le projet.
En quoi votre action de concertation volontaire, de médiation extra-réglementaire, permet-elle de prévenir les conflits potentiels ?
Le psychologue urbain intervient à 98 % au stade de la conception du projet qui permet, le cas échéant, de réviser la copie afin de prévenir les conflits et d’éviter les recours. Les riverains ont le sentiment que le promoteur respecte les étapes du projet, ce qui les aide certainement à mieux en appréhender et en supporter les contraintes éventuelles.
Comment remettre l’individu au centre des projets urbains ?
Les citoyens ne veulent plus se laisser faire. Ils expriment le besoin d’être considérés. Ils veulent comprendre et être accompagnés pour se projeter dans le changement. Un médiateur n’a pas d’obligation de résultat. Aussi, un projet peut être abandonné car c’est le projet de trop et d’autres acceptés parce qu’ils s’intègrent bien au quartier. La condition de l’acceptabilité citoyenne est qu’elle doit avoir droit au chapitre plus tôt ! Il s’agit de donner la parole à chacun – même les plus rétifs – et de favoriser l’écoute et les échanges. L’essentiel est de donner une trame du projet lisible sans se cacher derrière des slides projetées en réunion publique, dont le manque de compréhension peut nuire au projet.
Comment les maîtres d’ouvrage peuvent-ils concilier des impératifs parfois contradictoires (densification, Zan et environnement, acceptabilité sociétale…) ?
Un élu local est par nature garant du développement urbain, malgré tous les impératifs. Qu’une communauté ait un projet urbain ambitieux ou des aménagements plus frugaux, il faut toujours faire avancer le territoire pour qu’il se développe en favorisant l’accès au logement pour tous, à l’emploi, à la culture…
Quelles logiques de prospective pour la ville de demain ?
Le « mal-être urbain », le constat de dévitalisation des cœurs de ville résulte fortement du développement du « zoning » (secteur d’habitat, de loisirs, de commerces, d’activités…). C’est entre autres pour cette raison (stress quotidien, allongement du temps de transport, fragilisation du lien social…) qu’est apparu le concept de la ville du quart d’heure, qui permet de trouver des services près de l’endroit où l’on vit. S’il faut des dominantes d’usages, le dialogue de la mixité doit être relativisé. La notion de « dominante » par quartier apparaît plus favorable à une vie urbaine apaisée, partagée… plus favorable à la santé mentale.
Justement, vous avez lancé l’Observatoire santé et qualité de vie urbaine. Que ressort-il de cette étude ?
Ce premier Observatoire santé et qualité de vie urbaine met en lumière la perception des citoyens de ce que la ville propose et l’impact de ces perceptions sur la santé psychologique. L’année passée, nous avons obtenu 8 000 répondants à notre observatoire, ce qui nous permet d’objectiver ces perceptions et de fournir de la data sensible et actuelle. Il en ressort que la sécurité, l’appartenance à un collectif, le fait de pouvoir agir et être consulté sur la vie du quartier sont des éléments de bien-être. S’ajoute également la qualité de l’offre d’activités dans le quartier, notamment pour les enfants, ou encore l’aménagement public. En revanche, le bruit de la circulation, des travaux ou du voisinage, ainsi que la densification des constructions sont ressorties comme des vecteurs de mal-être en ville.
PARCOURS (Dates clés)
2009-2010 : Psychologue du travail et des organisations au Centre collaborateur de l’OMS pour la recherche et la formation en santé mentale (Mons – 59)
2010 : Consultante chez Norpac (Bouygues Bâtiment Nord-Est)
2010-2011 : Psychologue du travail et des organisations chez IDGroup (Roubaix – 59)
2011-2014 : Consultante chez Stimulus Conseil (Paris)
2012 : Diplômée en psychologie Université de Lille (59) et psychologue du travail et des organisations IPRP à Université Lumière Lyon 2 (69).
2014-2019 : Psychologue du travail et des organisations chez EffiScience (Paris)
2016 : Fondatrice et dirigeante d’Hurba, cabinet expert en psychologie urbaine (Paris)
UNE FÉDÉRATION ET UN OUVRAGE DE RÉFÉRENCE
La fondatrice d’Hurba, Barbara Attia, est l’autrice de l’ouvrage Psychologie urbaine : un nouveau métier, pour le bien-être des citoyens des villes (Éditions Télémaque, 2022), dans lequel elle tire la sonnette d’alarme sur l’urgence de remettre l’individu au centre des projets urbains. Dans cet opus, elle constate que la santé mentale de la population est fragilisée par la dégradation accélérée des conditions de vie dans les aires urbaines. Consciente que la psychologie urbaine commence à émerger en France, elle crée en 2018 la Fédération des acteurs de la concertation citoyenne (FACC France), dont le rôle est de promouvoir et de soutenir la participation citoyenne dans les processus de décision publique. Elle regroupe une trentaine d’adhérents qui sont des médiateurs certifiés intervenants entre le citoyen et les acteurs politico-économiques.
Source : La Lettre M – Décembre 2025
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